La femme qui murmurait à l'oreille des enfants

Au cinéma, j’ai vu un homme qui murmurait à l’oreille des chevaux.

Dans la vie, je connais une femme qui murmure à l’oreille des enfants.

Chaque matin, accompagnée de ses deux enfants, elle prend sa voiture verte qui vient grossir les serpents lumineux que la grande ville attire depuis les plaines et les plateaux environnants. Elle dépose le plus jeune à la garderie tandis que le plus grand est à l’étude, en attendant le début de la classe. Puis, elle se rend au foyer.

Travailleuse sociale, tu te dévoues aux autres, dans cet océan anonyme où nos vies se côtoient sans se toucher. Ton quotidien, c’est l’enfance cassée, les rêves mort-nés qu’on voudrait ressusciter. Tu les écoutes, tu leur parles. La voix est douce, celle d’une mère qu’ils n’ont jamais eue. Comme des êtres errant au milieu d’une vie inconnue, ils se confient, pleurent, ils t’insultent, ils rient. Elle a toujours le même regard, celui qui veut sauver quand ils sont perdus depuis le jour où une autre femme, miséreuse elle aussi, les a enfantés.

Très loin vers l’Ouest, dans la cité des anges, il y a Lara Croft. Ici, dans la vie, il y a Christine, la femme qui murmure à l’oreille des enfants. Parfois, elle en sauve un qui lui envoie des lettres à l’orthographe mal assuré débordant de remerciements.

Et quand vient le soir, tu laisses ton âme de sœur Emmanuelle. Tu redeviens Christine, femme divorcée, mère de deux enfants. La route, le supermarché, les devoirs, la cuisine, les fins de mois, les baisers au petit dernier quand la lumière est éteinte. Et demain, tu recommences.

Chère voisine, à la bonté si naturelle, à qui je n’ai jamais adressé pour toute parole qu’un « bonjour » pressé, vous êtes mon héroïne.